L’Achéron


« Prends garde quand tu passes ! Va, si tu peux, sans fouler sous tes pieds les têtes de tes frères humains, qui souffrent. » —————- Dante / La Divine Comédie, L’Enfer, Chant 32

L’entrée des enfers est un vaste marécage, une mer intérieure funeste qui se nourrit du débit de plusieurs fleuves. Parmi eux coule l’Achéron, frontière glaciale et visqueuse dont les eaux sont connues pour être le territoire de Charon, passeur intraitable qui sur sa barque permet aux défunts de rejoindre leur nouvelle demeure.

Mais pour franchir le seuil liquide du trépas et s’orienter selon ses vices et vertus aux champs Elysées ou au Tartare, il faut respecter au moins deux règles : avoir reçu une sépulture et s’acquitter d’un droit de péage, en général une obole placée dans la bouche du mort. Et malheur à ceux qui ne pourront payer, malheur à ceux qui n’auront pu être enterrés ou brûlés, ceux-là se verront condamnés à errer cent ans entre les roseaux sinistres et les boues noires d’un affluent : Le Cocyte, la rivière qui n’est faite que de larmes.

Chapitre deuxième d’un triptyque consacré aux enfers, l’Achéron entend s’emparer de thèmes récurrents propres aux tragédies antiques. Dans ces images composites qui font appel aussi bien à la coupure qu’à l’association, à l’ellipse qu’à la suite, dans ces images fragments remontées des sous-sols telles des morceaux de mosaïque, il est question de déracinement, d’exode, de transgression, de déterminisme, d’absurdité, de deuil, de conséquentialisme, de vanité, ces mamelles éternelles au travers desquelles chacune des rives du bassin méditerranéen n’a eu de cesse de puiser des laits de sang, de sperme et de larme. Et parce que tout fleuve est une leçon de vie et de mort, toute surface d’eau un miroir philosophique dans lequel se noie parfois nos valeurs et s’épanouissent nos parts d’ombre, il faut rejoindre dans la barque nos glorieux aïeux et demander encore et encore à Orphée l’amoureux, Ulysse le vagabond, Tantale le cannibale, Antigone la digne ou Narcisse le solitaire, ce qu’ils pensent de nous.

The entrance to the hells is a vast swamp, a fatal inland sea which feeds on the flow of several rivers. Among them runs the Acheron, glacial and viscous border whose waters are known to be the territory of Charon, the boatman who ferry the dead to their new home.

But to cross the liquid threshold of death and orientate oneself according to his vices and virtues in the Elysian fields or in Tartarus, we must respect at least two rules: to have received a burial and to pay a toll (usually an obol placed in the mouth of the deceased). And woe to those who can not pay, woe to those who could not be buried or burned, they will be condemned to wander a hundred years between the sinister reeds and the black mud of a tributary : The Cocyte, the river which is only made of tears.

Second chapter of a triptych devoted to the underworld, the Acheron project intends to take up recurring themes peculiar to ancient tragedies. In these composite images that appeal to both the cut and the association, to the ellipse and to the continuation, in these fragmented images found in the basements such as pieces of mosaic, it is about uprooting, exodus, transgression, determinism, absurdity, mourning, consequentialism, vanity, these eternal breasts through which each of the shores of the Mediterranean basin has always extract blood, Sperm and tears. And because every river is a lesson of life and death, every surface of water a philosophical mirror in which our values ​​are sometimes drowned and our shadows are blossoming, we must rejoin our glorious ancestors in the boat and ask again and again to Orpheus the lover, Ulysses the vagabond, Tantalus the cannibal, Antigone the worthy or Narcissus the lonely, what they think of us.