LE LÉTHÉ


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« Pour engloutir mes sanglots apaisés –

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    Rien ne me vaut l’abîme de ta couche ;

a

    L’oubli puissant habite sur ta bouche,

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    Et le Léthé coule dans tes baisers. »

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——————————————————————————————————————Charles Baudelaire / « Le Léthé »

On ne garde jamais que les bons souvenirs, les beaux. C’est ce qu’on dit. Mais qu’arrivent-ils aux autres ? Où vont-ils ? Les regrets, les peines, les chagrins, ces vieilles branches mortes, sous l’eau, qui accrochent à la coque de nos barques, où finissent-elles par échouer, sur quelle rive ? Quel est ce courant de fond qui les a emmenées au loin, au bout d’un estuaire, peut-être dans une mer, quelque chose de froid et de sombre ?

Le Léthé est avec le Styx et l’Achéron l’un des trois fleuves des enfers grecs. Boire une gorgée de ses eaux autorise un retour, revenir en surface, parmi les vivants. Le prix à payer ? L’oubli. L’oubli de son passé, de sa vie, ses amours, sa famille. Tout. Enfin presque. Il restera bien quelques bribes des bonheurs antérieurs, des éclairs, des sensations de « déjà vu » mais rien qui fasse de l’ombre à sa nouvelle existence. On ne garde jamais que les bons souvenirs. C’est ce qu’on dit. En enfer, certains choisissent de rester à tout jamais du « mauvais côté » de la berge, pour garder les belles choses, les belles comme les douloureuses, les garder pour l’éternité, dans le noir,  une éternité de mélancolie parmi les damnés. D’autres franchissent ces eaux, pour tout recommencer, à zéro, faisant table rase de ce qu’ils étaient, de ceux qu’ils ont aimés.

Le long du fleuve de l’oubli, entre joncs et roseaux, avant de prendre une décision, boire la tasse ou rester au sec, cette série de 18 images est une invitation à descendre le cours d’une histoire d’amour : ses rapides, ses détours, ses épisodes géographiques, de la source jusqu’à l’embouchure : une invitation à parcourir les flancs de son lit. Le long du fleuve de l’oubli, grand poison froid du Tartare, le long de cette veine gonflée de « gouttes à souvenir » dans laquelle chacun de nous a versé, au moins une fois, toutes sortes de liquides, ce projet cousu d’eaux noires et d’un fil rouge s’interroge sur ce que l’on garde de ces histoires là, sur ce que l’on peut bien emporter de l’autre.

We only recall beautiful memories, it’s what we say. But what about the others? Where do they go ? Regrets, sorrows, griefs, these dead branches under the water, which cling to the hull of our boats, where they eventually fail, on what side ? What is this undercurrent which took them far off, at the end of an estuary, perhaps in a sea, something cold and dark ?

With Styx and Acheron, Léthé is one of the three rivers of the Greek underworld. A sip of its waters allows a return, return to the surface among the living. The price ? Forgetting. Forgetting his past, his life, his loves, his family. Everything. Almost everything. Because will stay maybe a few bits of earlier happiness , flashes , feelings of  « déjà vu », but nothing which overshadows his new existence . We only recall beautiful memories, it’s what we say. In Hell, some people choose to stay forever on the « wrong side  » of the bank, to keep beautiful things, both beautiful and painful, keep them forever in the dark, an eternity of melancholy among the damned. Other cross these waters to start all over again, leaving behind their identity.

Along the river of forgetfulness , among rushes and reeds, before making a decision : swallow a lot of dark water or stay dry, this series of 18 images is an invitation to navigate down a love story: its rapids, its turns, its geographical episodes, from the source to the mouth. Along the river of forgetfulness, cold poison from Tartarus, along the swollen vein of memories into which each of us has shed at least once, all kinds of liquid, I wanted to know what we keep from these stories, what we may take away from other.